Il y a quarante ans, de Gaulle enflammait le Chemin du Roy au Québec
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Il y a quarante ans, de Gaulle enflammait le Chemin du Roy au Québec

Le 25 juillet 1967, un drôle de symbole apparaît sur le fil de presse de l’agence Chine Nouvelles: 魁北克 (Québec). Tout ça car, la veille, à l’autre bout du monde, une journée complètement folle s’était déroulée…

Sur le chemin emprunté par Charles de Gaulle, la foule est en liesse. Nous sommes le 24 juillet 1967, une des journées les plus intenses de notre histoire. De Québec à Montréal, nous suivons le Général sur le chemin du Roy.

Le document de Carl Leblanc et Luc Cyr redonne du sens et de la vie à cette visite historique. Nul doute que de chaudes discussions vont naître du visionnement de ce documentaire passionnant.

Article du Figaro

Montréal par LUDOVIC HIRTZMANN
Mis à jour le 14/10/2007 à 18:43
Publié le 23/07/2007 à 06:00

Parti de Brest le 15 juillet 1967 sur le croiseur Le Colbert, le général de Gaulle est arrivé à Québec huit jours plus tard. De là, le 24 juillet, il a suivi le Chemin du Roy, la plus vieille route du Canada, construite sous Louis XV. Charles de Gaulle s’est arrêté dans sept villes, jusqu’à Montréal où il a lancé son célèbre « Vive le Québec libre ! ». Aujourd’hui, sur le Chemin du Roy, les Québécois se souviennent.

« IL EST arrivé là, sur ce quai. J’avais 17 ans. Je venais du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Nous sommes tous souverainistes au Saguenay, alors imaginez, l’arrivée de De Gaulle pour nous, c’était la fête », se souvient Marcel Girard, employé de la gare maritime de Québec. L’homme s’emmêle dans ses souvenirs, s’emporte contre Ottawa et les « maudits anglais ». « L’ambiance était euphorique. Je n’avais que sept ans, mais toute la famille était venue assister au passage de De Gaulle à Québec », conte Sylvie Tessier, hôtelière.

Le 23 juillet 1967, après deux siècles d’abandon, la France retrouve le Québec. L’étonnement est égal des deux côtés. Dans son édition du 24 juillet, le quotidien montréalais La Presse raille les journalistes français qui appellent le premier ministre québécois Daniel Johnson « Monsieur le président ».

À 40 kilomètres de Québec, à la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré où le général assista il y a quarante ans à la messe avec Madame de Gaulle, le père Guy Pilote, aujourd’hui recteur de l’un des grands lieux de pèlerinage d’Amérique du Nord, opine de la tête : « De Gaulle a fait son devoir de bon chrétien, mais cela n’a pas attiré plus de monde que d’habitude. L’église était pleine, comme tous les dimanches. Regardez aujourd’hui. C’est le jour des Premières nations et 20 chefs amérindiens sont ici. Les Indiens sont toujours très pieux. » Le père Pilote place une écharpe amérindienne sur sa soutane, puis ajoute : « De Gaulle nous a fait oublier des choses moins importantes. »

Le 24 juillet au matin, le général commence sa visite par la bourgade de Donnacona. C’est la première étape sur le Chemin du Roy, une route cahoteuse de 280 km entre Québec et Montréal, construite en 1735 par le grand voyer (l’officier responsable des travaux publics) Eustache Lanouiller de Boisclerc. « Le maire de Donnacona était tellement ému qu’il tremblait », relate à l’époque un reporter du quotidien de Québec Le Soleil.

Plus de 3 000 des 7 000 habitants d’alors se massent sur le passage du cortège. La Lincoln continentale noire décapotable de Charles de Gaulle longe la rive nord du Saint-Laurent, puis arrive à Sainte-Anne-de-la-Pérade, l’hiver capitale québécoise de la pêche sur la glace. « Le Québec libre, ce n’était pas ses affaires. De Gaulle était un grand bonhomme, mais il a perdu de la valeur à mes yeux en disant»Vive le Québec libre !* Ses paroles n’ont d’ailleurs impressionné personne », martèle Jean-Paul Naubert, l’ancien maire. Ce producteur laitier de 82 ans serre les dents lorsqu’il s’agit de parler du président français. Il croit avec acharnement à son explication : « Le général de Gaulle a dû être poussé par les séparatistes. » Président de la société d’histoire d’un village de 2 000 habitants, qui en comptait le double dans les années 1960, Jean-Paul Naubert montre du doigt l’ancien hôtel de ville de 1916, minuscule bâtiment en brique ocre faisant face à une gigantesque église à deux clochers. « Il y avait un balcon, comme à Montréal. De Gaulle était vraiment très grand. Il a fait un bref discours, rien qui m’ait marqué. » À Sainte-Anne-de-la-Pérade, le chef de l’État lance aux Québécois : « Vous serez ce que vous voulez être. » Dans chaque ville, l’ancien chef de la France libre multiplie les appels à la souveraineté.

« Intimidés par l’uniforme du général »

L’histoire du Chemin du Roy est intimement liée à celle du mouvement indépendantiste. « Le Québec devient maître de lui-même, pour le bien du Canada tout entier », tonne de Gaulle à Trois-Rivières, ville de 60 000 habitants alors autoproclamée capitale mondiale de la pâte à papier. C’est la principale étape entre Québec et Montréal. Roch Parent, propriétaire de l’auberge Le Manoir de Blois, une superbe maison victorienne, s’enthousiasme : « J’avais 15 ans. À l’école, nos professeurs nous avaient dit que de Gaulle était un grand commandant qui avait libéré la France des Allemands et qu’il venait nous voir, nous les francophones du Québec, pour mieux nous connaître. Pour nous, c’était quelque chose. Un chef d’État de la France, un grand pays, venait nous voir. »
Dans le quotidien La Presse du 26 juillet, un journaliste québécois s’étonne de ce que certains journalistes français qui accompagnent de Gaulle l’appellent « Pépère ». François Roy, porte-parole de la ville de Trois-Rivières, n’a pu suivre le cortège qu’à la télévision : « Mon père était pétainiste. Il se méfiait de De Gaulle qu’il accusait d’avoir rejoint les Anglais. Au fur et à mesure des étapes du Chemin du Roy, il est devenu gaulliste. »

À Louiseville, puis à Berthierville et à Repentigny, le cortège présidentiel longe les maisons de bois aux couleurs vives et aux gazons coupés ras. Si dans tous les villages, les jeunes Québécois ont entendu parler du « Vive le Québec libre ! » que le général a prononcé le soir du 24 juillet à Montréal, aucun n’est capable d’en dire plus. « La génération des 15 ans est pourtant plus intéressée par la souveraineté que celle des 30 ans. L’indépendance sera peut-être l’affaire des plus jeunes », pense Roch Parent. Cet homme d’affaires, propriétaire de cliniques et d’un hôtel, montre la vaste cour du séminaire Saint-Joseph, où Charles de Gaulle parlait sur une estrade. « La sono était mauvaise. Nous faisions tout pour écouter, intimidés par l’uniforme du général. Le Canada est un pays peu militarisé. Nous avons toujours craint un peu les uniformes », se rappelle Roch Parent. Selon ce dernier comme pour François Roy, « le passage de De Gaulle, très impressionnant, a aidé les séparatistes et a été incontestablement le déclencheur pour René Lévesque ».

« Il a encouragé les pires éléments à la subversion »
Il existe bien alors quelques mouvements indépendantistes, comme le RIN, le Rassemblement pour l’indépendance nationale, mais la venue du général a entraîné la création du Parti québécois (PQ) de René Lévesque en 1968. Si La Presse, dans son édition du 25 juillet, s’enflamme : « Inimaginable. Charles de Gaulle, grand libérateur de la France, fait maintenant l’histoire du Québec, du Canada tout entier ». La presse canadienne anglaise ne s’y trompe pas et est encore plus virulente que d’ordinaire. « De Gaulle a ouvertement encouragé les pires éléments du Québec à la subversion », écrit le quotidien albertain The Calgary Herald le 25 juillet.
Le président de la République est arrivé à un moment clé, celui de l’Exposition universelle de 1967 à Montréal. Cette année-là, avec les pavillons des nations de l’exposition, les Québécois ont découvert que le monde existait autour d’eux. À peu près au même moment, les habitants de la Belle Province se libéraient de la tutelle du clergé lors de la fameuse « Révolution tranquille ». Un important mouvement nationaliste naît alors dans la jeunesse. « L’avenir s’ouvrait pour nous », assure Roch Parent.
Quarante ans après le passage du général, l’indépendance semble loin. Pauline Marois, nouveau chef du PQ (voir encadré), a repoussé la souveraineté aux calendes grecques. Lors de sa nomination à la tête du mouvement souverainiste, le 27 juin dernier, la dirigeante péquiste a déclaré : « Nous ne parlerons plus de la date et de l’heure [de la souveraineté]. Parce que ce n’est pas ce qui est le plus important. »

Le lendemain, Pauline Marois a précisé sa pensée et a annoncé qu’un référendum sur l’indépendance n’aurait pas lieu avant deux ou trois mandats, soit dix ou quinze ans. Sa déclaration a fait l’effet d’une douche froide dans les milieux souverainistes. Le Parti québécois, à la dérive, gouverne à la petite semaine, au gré des sondages. Il fut laminé aux élections générales de mars dernier. D’aucuns ont même prédit sa disparition, au profit de l’Action démocratique du Québec, le mouvement populiste de Mario Dumont. Cependant, si le Parti québécois devait disparaître, il serait maladroit de croire, comme le clament les fédéralistes, que l’indépendance est chose du passé. Une majorité de francophones croient encore à un Québec libre.
Seulement, depuis 1967, la Belle Province a changé. Selon une étude de l’université de Montréal, les francophones devraient être minoritaires à Montréal d’ici une quinzaine d’années. Les immigrants, toujours plus nombreux, ne voient pas forcément l’intérêt d’un Québec indépendant et le PQ, parti de blancs, ne fait rien pour les convaincre du contraire.

L’indépendance aux calendes grecques
Le mouvement souverainiste souffre aussi d’un manque de leadership. Le dernier véritable chef du parti, Jacques Parizeau, a démissionné au lendemain du référendum manqué du 30 octobre 1995. À l’époque, le chef du gouvernement avait dit à des Québécois pétris de politiquement correct ce qu’ils n’étaient pas prêts à entendre. Le référendum avait été perdu à cause de « l’argent et du vote ethnique », référence à peine voilée aux anglophones et aux ethnies.

Les successeurs de Jacques Parizeau, Bernard Landry puis André Boisclair, n’ont fait que gérer un héritage défraîchi. Longtemps sous l’emprise économique et politique anglophone, les Québécois ont toujours redouté les réactions d’Ottawa. Par manque de courage, mais aussi par soumission historique, les dirigeants péquistes ont souvent craint d’employer le mot « indépendance », pourtant seule raison d’être du mouvement.

Lors du référendum de 1995, la question sur l’indépendance était si alambiquée, avec sa référence à une vague souveraineté- association avec le Canada, que personne ne savait à quoi aurait bien pu ressembler un Québec souverain. Pour survivre au temps, les indépendantistes devront clarifier leur position.

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